Pour Louis et Suzanne
Il était une fois, dans une galaxie très lointaine, une planète. Sur cette planète, il y avait un pays triangulaire. Dans ce pays, tout était triangulaire. Les habitants, appelés les Triangles, les animaux, les arbres, les fleurs, tous les éléments du paysage étaient des triangles.
Pour certaines choses complexes, comme les arbres, il pouvait y avoir plusieurs triangles assemblés.
Les Triangles vivaient heureux dans ce pays. Ils se baignaient dans la mer parmi les poissons triangulaires, ils se réchauffaient au soleil triangulaire, ils escaladaient des montagnes triangulaires, ils peignaient des tableaux triangulaires.
Les enfants triangles se retrouvaient chaque jour sur la plage pour composer de grands dessins triangulaires avec des coquillages, des cailloux et des algues, ou encore ils se livraient à des courses effrénées. Parfois ils dansaient, parfois ils ne faisaient rien de spécial.
D’autres fois, ils se rassemblaient pour former de grandes figures. Tous les petits triangles pouvaient se déformer pour prendre la forme triangulaire qu’ils veulent, mais ils en avaient une préférée, naturelle, celle qui leur donnait leur nom. Il y avait en particulier trois amis, Petit Triangle Rectangle, Gros Triangle Equilatéral, et Grand Triangle Isocèle.
Le soir, quand ils avaient bien joué, ils rentraient dans leur maison triangulaire, retrouver leurs parents, manger et dormir.
Un matin, en arrivant sur la plage pour jouer, les petits Triangles virent une étrange créature. Elle n’avait pas de côtés ! Petit Triangle Rectangle eut très peur et se cacha derrière Gros Triangle Equilatéral. Grand Triangle Isocèle s’avança vers la créature mystérieuse.
– Comment t’appelles-tu ?
– Je suis Petit Rond.
– Qu’est-ce que c’est rond ? Quelle sorte de triangle es-tu ? Tu n’as pas de côté. D’où viens-tu ?
– Je viens d’un pays rond et doré loin de l’autre côté de la mer. J’étais sur un bateau avec mes parents, mais le bateau s’est fendu et ils ont disparu dans l’eau. Je me suis accroché à un poisson et me voilà. Bouhh ! Bouhh ! Je veux ma maman et mon papa !
–Ne pleure plus, viens-jouer avec nous, on va faire une pyramide.
Mais ils n’arrivaient pas à s’assembler avec Petit Rond pour former une pyramide, parce qu’il tombait tout le temps et roulait sur la plage, puisqu’il n’avait pas de côtés.
– On va faire la course alors !
Alors là, Petit Rond était très fort. Il roulait, roulait si vite sur le sable qu’il arriva bien avant Petit Triangle Rectangle, Grand Triangle Isocèle et Gros Triangle Equilatéral.
Petit Rond savait bien danser aussi, c’était amusant de le faire tourner.
Les petits Triangles passèrent une bonne journée sur la plage avec leur nouvel ami.
Le soir, Petit Triangle Rectangle, qui n’avait plus peur du tout, prit Petit Rond par la main et lui proposa d’aller manger et dormir chez lui.
Quand ils arrivèrent, Maman et Papa Triangles Rectangles poussèrent de grands cris.
– Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Il n’a même pas de côtés ! D’où vient-il ? C’est un monstre, il est dangereux ! Il ne rentre pas chez nous. Petit Triangle Rectangle tu ne dois plus jamais jouer avec lui !
Petit Rond s’éloigna en pleurant et Petit Triangle Rectangle rentra chez lui en pleurant.
Petit Rond marcha seul longtemps, longtemps dans la forêt. Il était si triste ! Il avait quitté son pays tout rond et tout doré, perdu son Papa et sa Maman dans la mer et en plus ici, ils ne voulaient pas de lui !
Il arriva à une petite cabane au milieu de la forêt.
Devant cette cabane se tenait une très vieille grand-mère Triangle. Autrefois, il y avait bien longtemps, elle avait quitté le pays triangulaire. Elle avait beaucoup voyagé et rencontré bien d’autres pays. Quand elle était revenue, elle avait voulu raconter aux Triangles ce qu’elle avait découvert :
– Il y a d’autres formes que les triangles !
Mais personne ne la croyait, et ils la regardaient bizarrement. Ils n’avaient pas confiance.
Elle, elle les avait trouvés un peu limités, et avait préféré partir vivre seule, loin du village, au fond de la forêt. Les autres Triangles racontaient que c’était une sorcière maléfique, et qu’elle avait des pouvoirs terriblement magiques et mystérieux. En réalité, elle n’avait pas d’autre pouvoir que d’être très sage, très curieuse, très gentille. Et, de plus, elle n’avait pas peur d’eux.
Parfois, pendant les heures chaudes de la journée, quand les grands Triangles faisaient la sieste, les petits Triangles, plus courageux, plus curieux, plus ouverts, venaient la voir pour l’écouter raconter des histoires, et pour lui apporter du poisson. De temps en temps elle soignait ceux qui s’étaient fait mal ou consolait ceux qui étaient tristes.
Quand elle aperçut Petit Rond, elle lui dit :
– Bonjour Petit Rond !
Petit Rond était très étonné.
– Tu connais mon nom ? Tu n’as pas peur de moi ?
La vieille sorcière Triangle sourit.
– Viens manger et te reposer dans ma cabane. Tu dois être épuisé.
Le lendemain, Petit Rond et la vieille grand-mère Triangle discutèrent.
– J’ai beaucoup voyagé tu sais, et je suis allée dans ton pays. C’était un très beau pays ! Pourquoi es-tu parti ?
– Il y a un Rond qui s’est pris pour le roi du monde. Il a battu tous ceux qui n’étaient pas d’accord, a gardé toute la nourriture pour lui, a détruit nos maisons. Alors mes parents ont eu peur et ont décidé de partir par la mer pour trouver un pays sans danger pour vivre. Mais le bateau a coulé, mes parents ont disparu, je suis tout seul. Ici, les grands triangles ne veulent pas de moi et ils interdisent à leurs enfants de jouer avec moi ! Ils ont peur de moi parce que je n’ai pas de côtés !
La vieille sorcière soupira. Elle prit Petit Rond dans ses bras et lui fit un gros câlin.
– C’est bien triste tout ça.
Elle rajouta :
– Pendant mes voyages, j’ai appris le secret des Ronds. Nous avons les mêmes ancêtres. Les Ronds sont composés de Triangles Isocèles dont les bases sont si petites qu’on ne les voit plus. Nous allons leur expliquer.
Le lendemain, la vieille grand-mère triangle et Petit Rond traversèrent la forêt et arrivèrent au village. Les Triangles avaient peur des supposés pouvoirs de la sorcière et n’osèrent rien dire.
Elle réunit tout le monde sur la plage.
Elle leur dit :
– Vous êtes des ignorants ! Dans mes voyages, je suis allée au pays des Ronds. Et j’ai appris qu’ils sont composés de triangles comme nous. Nous sommes de la même nature ! Vous allez voir.
Elle demanda à tous les petits Triangles de prendre une forme isocèle avec une base très très petite. Elle les fit s’assembler par la pointe.
Et oh ! Miracle, ils formaient un rond !
Ils se mirent à rouler tous ensemble sur le sable. Ça allait très vite. Ils riaient à gorge déployée.
– Vous voyez ! Avec des triangles on peut faire toutes les formes qu’on veut. On peut aussi faire des ronds. Vous manquez cruellement d’imagination !
Alors, les grands Triangles, confus, demandèrent pardon à Petit Rond et l’acceptèrent parmi eux.
La démonstration de la sorcière avait éveillé leur imagination. Maintenant ils s’assemblaient pour faire toutes sortes de formes géométriques, plus complexes, plus belles. Ils construisaient des bâtiments ronds ou ovales, ils dessinaient des tableaux carrés, rectangulaires ou de forme octogonale. Leur vie était plus belle, plus intéressante.
Petit Rond allait souvent rendre visite à la vieille grand-mère Triangle. Il lui dit un jour :
– C’est vrai que nous les ronds, nous sommes fabriqués avec des triangles ?
La sorcière rit.
– Non, ce n’est pas tout à fait vrai, parce qu’il faudrait une infinité de triangles isocèles dont la base serait infiniment petite. Et l’Infini, ça n’existe que dans l’imagination ! Mais si on met beaucoup de triangles, personne ne voit la différence avec un vrai rond. Alors oui, on va dire que c’est vrai !